11.2016 – Entretien avec Andreiev Pinzón Franco, Coordinateur de projets chez ENDACOL (partenaire de GeTM depuis 25 ans en Colombie). Il nous parle de l’approche DESC (droits économiques, sociaux et culturels) de son organisation (qui inclut également les droits collectifs et environnementaux) et de l’importance de ces droits dans le domaine du développement.
Bonjour Andreiev, depuis combien de temps travailles-tu chez EndaCol?
Je travaille à EndaCol depuis 2002 en tant que coordinateur de projets. Actuellement, je suis notamment en charge de l’approche des Droits Économiques, Sociaux et Culturels (DESC) d’EndaCol.
Pourrais-tu nous dire en quelques mots quel est le travail d’EndaCol en Colombie ?
EndaCol cherche à renforcer, soutenir, valoriser et promouvoir des propositions alternatives de gestion durable de l’environnement par les secteurs populaires, principalement en milieu urbain. Nous travaillons avec des organisations communautaires, des associations de quartier, de jeunes et de femmes qui s’impliquent entre autres dans la gestion des déchets ou de l’eau, dans l’éducation environnementale et dans la défense des cours d’eau sur leurs territoires. Nous appuyons la consolidation institutionnelle de ces organisations et encourageons leur articulation avec d’autres acteurs, afin de renforcer leur incidence sur les politiques publiques urbaines et environnementales.
Pourrais-tu nous expliquer brièvement en quoi consistent les DESC (droits économiques, sociaux et culturels) ?
Les DESC sont une conquête du mouvement social, des luttes et revendications des peuples et des organisations au cours de l’histoire. Ils sont jumeaux des droits civils et politiques, mais leur développement est plus lent et il est plus difficile de les faire valoir et respecter. Ils se réfèrent à l’ensemble des conditions matérielles nécessaires pour une vie digne : ils concernent le lieu de travail, la sécurité sociale, la vie familiale, la participation à la vie culturelle et l’accès au logement, à l’alimentation, à l’eau, aux soins de santé et à l’éducation. Ces droits constituent la base qui permet à chacun de jouir et de faire respecter d’autres types de droits. Par exemple, la participation politique est impossible si les communautés n’ont pas un capital social qui leur permet d’avoir une incidence sur les questions qui les concernent.
Pourquoi EndaCol s’intéresse-t-elle de près aux DESC ?
À EndaCol nous sommes convaincus qu’une véritable démocratie doit mettre au centre le respect et la réalisation effective de ces droits. Les démocraties du continent latino-américain sont pour l’instant nominales et non pas réelles : les droits sont inscrits dans la loi, mais dans les faits, ils ne sont pas respectés et réalisés. Un des principaux défis actuels en Colombie est donc de « démocratiser la démocratie » à travers la réalisation de ces droits. C’est pourquoi EndaCol a adopté une approche centrée sur les DESC.
En quoi consiste l’approche DESC d’EndaCol ?
EndaCol a toujours œuvré pour améliorer la qualité de vie des secteurs populaires urbains, notamment à Bogotá. Or, seuls le respect et la réalisation effective des droits économiques, sociaux, culturels, mais aussi des droits collectifs et environnementaux permettront d’améliorer la qualité de vie des populations exclues et marginalisées. Notre approche DESC est intégrale, dans le sens que ces droits ne peuvent pas être séparés les uns des autres, mais sont au contraire interdépendants et simultanés. Concrètement, EndaCol permet aux organisations et secteurs populaires avec lesquels elle travaille de connaître leurs droits pour mieux les défendre – que ce soit par le biais de l’École de Gestion Environnementale Urbaine (EGAC) ou par l’appui de leurs actions d’incidence au niveau local et national. EndaCol veut notamment positionner les droits environnementaux dans les espaces de participation citoyenne au niveau de la ville de Bogotá, mais aussi au niveau national et international.
Depuis quand EndaCol développe-t-elle cette approche des droits ?
EndaCol a toujours travaillé cette approche des DESC, mais elle l’exerce de manière plus systématique depuis 2006, grâce à sa participation active dans la Plateforme colombienne pour les Droits Humains, un réseau pluriel de défense des DESC. Nous avons établi une relation gagnant-gagnant avec ce réseau : EndaCol amène une perspective environnementale grâce à son travail de terrain avec les secteurs populaires, mais elle se nourrit à son tour du travail interdisciplinaire et de la vision intégrale des droits de la plateforme. EndaCol a ainsi pu concrétiser les DESC – y compris les droits collectifs et environnementaux – dans son travail avec les femmes, les jeunes, les aqueducs communautaires et la population des recycleurs, à travers ses projets et sur le terrain.
Quel est le lien entre le développement et les DESC ?
Le développement ne peut pas exister sans les droits, leur respect et leur réalisation concrète. L’ancienne conception du développement, qui en fait un synonyme de la croissance, est désuète et dépassée. On sait aujourd’hui qu’il n’y a aucun lien de causalité direct entre la croissance et le développement. À EndaCol, nous voulons sortir de cette vision traditionnelle du développement. Nous sommes convaincus que celui-ci doit être orienté vers des actions permettant le bien-être et le bien-vivre des populations. Ceux-ci ne sont pas nécessairement des synonymes de la croissance économique. L’économie ne détient pas les solutions à tous les problèmes et elle est souvent utilisée comme prétexte pour ne pas reconnaître et résoudre les problèmes structurels : c’est le cas lorsque l’État abandonne les populations marginales et délègue ses fonctions aux entreprises privées. Ceci constitue sans aucun doute une régression dans la réalisation des droits et notamment des DESC. La notion même de croissance économique est aujourd’hui en crise, par ses impacts négatifs sur la dégradation environnementale, sur la ségrégation et sur d’autres problèmes sociaux. Ainsi, plus que l’accumulation aveugle, la consommation sans frein de biens et services, il s’agit de créer les conditions pour que les personnes puissent se réaliser et développer leurs compétences personnelles (intellectuelles, artistiques, etc.). La société doit être le lieu de la réalisation des droits.
Propos recueillis par Maria A. Muñoz
Chargée de Projets GeTM